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Le pouvoir de la colère des femmes


Qu’est-ce que cela demande de se hisser aux plus hauts postes lorsque l’on est une femme ? Des compétences, la chance d’avoir croisé les bonnes personnes sur son chemin, d’être au bon endroit au bon moment, des quotas ou encore d’autres femmes sorores pour nous tendre la main ? 


Sûrement toutes ces choses à la fois. Mais s’il y a un ingrédient dont on a encore peu parlé dans le Pouvoir au Féminin, c’est la colère. S'indigner est parfois indispensable pour faire changer les choses, pour soi et les générations futures. 


Dans ce nouvel épisode, on parle notamment du pouvoir de la colère avec Judith Jiguet. Judith a eu une carrière impressionnante, tant dans le privé que dans le public. Pour ne citer que quelques-uns de ses postes, elle a notamment été directrice d'écologie et stratégie chez Ingerop, directrice projet renaturation, restauration et compensation au ministère de l'écologie, de l’énergie et des territoires, DG adjointe de IDRD, DG de ISS France et directrice de la transformation chez Engie. 


Ici, elle nous parle de son parcours, de ce qui a pu susciter sa colère et de l’importance de l’environnement pour pouvoir l’exprimer sans craindre un procès en hystérie. 



L’importance de la colère des femmes pour instaurer l’égalité des genres au travail et créer un environnement professionnel paritaire pour les générations futures. 


Le pouvoir, ça se prend 


Comme de nombreuses femmes qui sont passées dans le podcast, Judith ne perçoit pas le pouvoir comme une position ou un privilège mais comme une capacité d’action et d'entraînement. Elle oppose donc à la vision traditionnellement descendante un pouvoir collectif : celui de fédérer les expertises pour transformer une vision en réalité. 

“J'ai eu l'occasion de manager des équipes très exigeantes, très nombreuses, composées d'experts, de sachants, et je peux vous assurer qu’une décision ne tient que si elle est comprise et portée collectivement. “

C’est d’ailleurs cette capacité à embarquer qui a tendance à faire des femmes de meilleures managers, en particulier dans un contexte de transformation. Rappelons que les organisations dirigées par des femmes affichent de meilleures performances, notamment parce qu'elles favorisent une approche plus inclusive et plus collaborative.


Mais pour déclencher cette dynamique collective, les femmes doivent prendre le pouvoir. C’est particulièrement vrai dans notre cas, puisque nous n’avons pas le luxe de simplement attendre qu’on nous le donne. Il faut donc aller le chercher, provoquer les opportunités et faire la démonstration de sa légitimité par la preuve de notre mérite. C’est là que peuvent entrer en jeu les quotas, qui permettent d’accélérer les choses et d’établir un cadre dans lequel ce mérite peut être reconnu à sa juste valeur. 



Jouer au jeu politique pour décrocher le pouvoir


Pour atteindre ce pouvoir, il faut aussi composer avec les règles du jeu qui nous sont imposées. Que ce soit dans le public ou le privé, c’est un jeu de pouvoir qui ne se joue pas qu’au mérite, mais nécessite de déjouer les biais qui sont apposés aux femmes. Les règles du jeu peuvent néanmoins paraître plus justes pour elles dans le public, et ce pour plusieurs raisons : 


  • Le fait que l’intérêt collectif soit reconnu comme un critère de décision majeur ; 

  • La possibilité d’entrer dans le secteur ou de décocher des postes par le biais de concours (un domaine dans lequel les femmes réussissent statistiquement mieux que les hommes) ;

  • La reconnaissance d’une compétence clé pour arriver à des postes décisionnels : celle de négocier avec les syndicats. 

“Il y a une écoute active à mettre en place. Il y a de l'attention à l'autre. Savoir ce qui est fondamental pour celui qui est en face. Ce qu'il pourra éventuellement lâcher. Ce qu'on pourra construire ensemble [...] Et ça, ce sont des compétences qui ne s'enseignent pas beaucoup. qui appelle l'écoute la compréhension de l'autre et une forme d'empathie en réalité.”


Le courage de prendre des décisions difficiles


On en revient à ce qui fait des femmes de meilleures leaders de transformation. Outre une capacité à embarquer les différentes parties prenantes, le plafond de verre nous a aussi poussé à développer une forme de courage pour accepter les missions “impossibles’ que refusent beaucoup d’hommes. 


Tout au long de sa carrière, Judith s’est donc souvent retrouvée à aller au front, que ce soit pour opérer la refonte du siège d’Engie ou gérer une crise organisationnelle au sein d’ISS France. Chacune de ces missions compliquées l’a mise devant la nécessité non seulement de dialoguer avec des entités qui exprimaient des visions différentes, voire conflictuelles. Mais aussi d’endosser le poids d’une décision qui ne fait pas consensus ou peut être lourde de conséquence pour les équipes. 

“Dans ma vie, j''ai eu à faire appel à des cabinets qui ont su me challenger, avec qui je pouvais réfléchir et puis prendre un peu de hauteur, de recul. Mais voilà, je n’ai jamais délégué l'ensemble du projet, la décision. Et pour ça, il faut du courage aussi. Prendre une décision, c'est un acte courageux. “


Une saine colère pour briser le plafond de verre


Du courage, il en faut aussi pour s’indigner des comportements sexistes insidieux que l’on subit au travail. Pour la génération de Judith, il a longtemps été trop compliqué de s’y opposer frontalement et d’exprimer la colère, juste, qu’elle pouvait ressentir. 


C’est quand elle voit sa fille de 25 ans entrer dans la vie active et trouver anormales des situations auxquelles elle a été confrontée avant elle qu’elle formule ce que réprimer sa colère a pu lui coûter : de l’énergie, parfois un moyen de clôturer plus rapidement un débat contre-productif avec un collègue masculin. 

“Je me souviens d'un homme qui m'avait dit mais vous faites quoi pour les hommes ? Et en fait, là, je devrais répondre : “Alors attends, arrête sur image. Ça fait quand même plusieurs siècles qu'on fait tout pour les hommes. Est-ce qu'une toute petite mesure comme ça va changer ta vie ?” Mais non, je n'ai pas répondu ça. Alors qu’un peu d'indignation, un peu de colère exprimée aurait été pas mal en fait. “

On en revient à l’importance de l’environnement pour exprimer ses émotions, la nécessaire confiance pour s’indigner. Car l’indignation peut aussi être un terrain miné pour les femmes. Or par peur d’être taxée d'hystériques, certaines peuvent prendre le contre-pied en endossant des habits et des réflexes d’hommes. Une posture qu’on leur fait lourdement payer par la suite, que ce soit les organisations qui les poussent vers la sortie en raison de leur attitude trop autoritaire ou les autres femmes qui peuvent leur faire un procès en trahison. 


Encore aujourd’hui, il nous reste un long chemin à parcourir pour pouvoir exprimer cette colère librement. Car si elle est considérée aujourd’hui comme légitime et même productive, elle est néanmoins encadrée par des stéréotypes de genre. La colère féminine reste encore beaucoup plus calme, sans cri ni heurts. 



Ne plus se poser la question de la légitimité


Que ce soit grâce aux quotas ou aux stéréotypes de genre (les femmes sont par exemple associées au care, et donc à des domaines comme l’écologie), beaucoup continuent de questionner leur propre légitimité. 


Pour Judith, il ne faudrait plus se poser cette question, ne serait-ce que parce que les femmes représentent la moitié de la population. Un bon moyen de s’en défaire a été pour elle de rejoindre des CA, dans lesquels elle peut prendre plus de recul avec les enjeux de pouvoir. 

“Etre une femme dans ces instances est beaucoup moins pesant que d'être une femme dirigeante. Parce que dans ces instances, on vient réfléchir, on veut partager des idées, des visions, partager un peu d'expérience. Et c'est vrai que quand on est dans des comités paritaires, il y a cette richesse de la diversité et du coup de l'émulsion de la pensée. Moi j'adore ces environnements. “

Pour ne plus avoir à questionner la légitimité des femmes, elle nous encourage à miser sur : 


  • L’éducation, pour se défaire des biais de genre, 

  • La représentation, car on ne peut être que ce que l’on voit (d’où l’importance des quotas) ; 

  • La sororité. La vie professionnelle peut représenter pour beaucoup de femmes un mur d’escalade en verre, sans prise possible. La sororité permet non seulement de se faire la courte échelle lorsque l’on est au pied du mur, mais aussi de tendre la main aux autres lorsque l’on est arrivé en haut. 

“Je crois à la puissance de la sororité, vraiment. Moi j'aimerais. qu'on en finisse avec le mythe de la femme exceptionnelle qui réussit malgré tout. On aura gagné quand une femme réussit et c'est normal. C'est pas parce que c'était exceptionnel, c'est juste normal.”

Alors seulement, l’égalité ne sera plus un chantier en cours, mais une réalité dans les chiffres et un état de fait que plus personne ne questionne. 




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