L’audace comme moteur de transformation collaborative
- nellyjimenez33
- 5 juin
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 5 jours
Il en faut de l’audace pour prendre un poste de direction en période de crise et ajouter à ce premier challenge celui de transformer complètement la culture de son entreprise.
Pour échanger sur le pouvoir de l’audace, j’ai interviewé une personne que j’ai eu la chance de suivre tout au long de son parcours, Anaig Nouvel.
Anaig est aujourd’hui directrice générale d’Immodvisor, une entreprise qui accompagne les professionnels de l'immobilier dans la maîtrise de leur e-réputation. Entreprise dans laquelle elle a démarré en tant que responsable marketing en 2017, avant de devenir directrice marketing en 2021, puis DG il y a trois ans. C’est d’ailleurs à ce poste qu’elle a participé au trophée d’Innovation Managériale Transformative décroché par Immodvisor en novembre dernier.
Ensemble, on réfléchit donc au processus de transformation collaborative et à ce qu’il demande (en matière d’audace et de confiance en soi), mais également ce qu’il implique aussi bien pour les individus qui les mènent que pour l’entreprise dans sa globalité.

Faire bon usage de son pouvoir et des responsabilités qui vont avec
Pour Anaig, le pouvoir, c’est avant tout une grande liberté et capacité d’agir, mais aussi beaucoup de responsabilité, notamment dans le cadre d’une entreprise. En effet, ce n’est pas parce que l’on peut agir qu’il faut forcément le faire. L’arbitrage doit tenir compte de l’impact de chaque décision sur les équipes. D’où la question de savoir comment faire un bon usage de son pouvoir.
La clé, c’est d’avoir toujours un pied sur le terrain. Sans demander forcément à ses équipes de valider chaque décision, il est crucial de les questionner, de demander leurs feedbacks et de s’en servir comme d’une boussole et d’un garde-fou.
“En étant toujours en connexion directe avec les équipes, puisque là on parle d'entreprise, on ne peux pas dissocier de ce que je fais de son impact sur les équipes. Donc c'est en étant en contact avec eux et en étant toujours en lien avec eux, et en essayant de comprendre ce qui se passe pour pouvoir juger de mes potentielles décisions et de mes potentielles actions”.
Se transformer pour rester agile
Parmi les premières actions qu’elle décide de mettre en place lorsqu’elle prend le poste de DG d’Immodvisor, Anaig décide d’entamer un profond changement de la culture de l’entreprise. Plus qu’un simple projet managérial, elle entreprend une véritable transformation collaborative qui lui vaut d’être nommée aux côtés de grands groupes comme Air France.
A l’origine de ce projet, il y a un premier constat : l’entreprise traverse les débuts de ce qui s’annonce être l’une des plus grosses crises du secteur immobilier. Pour en ressortir indemne et même devancer ses concurrents, l’organisation doit innover. Il lui faut donc changer sa façon de travailler car après 10 ans d’existence, ce qui est resté dans les faits un petit bâteau de 40 personnes s’est transformé en un gros paquebot managérial, difficile à manoeuvrer.
Beaucoup d'entreprises ont tendance à se penser plus collaboratives, et donc plus agiles qu’elles ne le sont en réalité. La collaboration n’est pas juste une valeur de façade, mais une méthodologie de travail concrète : la co-création. Idem pour le positionnement “client-centric”, qui reste souvent un vœu pieux mais se traduit rarement par une réelle participation des utilisateurs à la prise de décision.
Pour mettre le doigt sur ce décalage, Anaig a été à l’écoute de ses équipes, qui lui ont remonté un problème de synergie. A partir de ce constat, elle a pu commencer à initier une transformation culturelle.
“Pour nous, l'un des secrets de ce qui s'est passé, c'est que le codir a expérimenté, avant d'avoir conscience de tout ça, de mettre en place ce projet, on a expérimenté ce que c'était co-construire ensemble avec des ateliers d'intelligence collective. Encore une fois, on était en 2020, en 2021, on ne l'avait jamais fait avant. C'est peut-être aujourd'hui très commun, mais à l'époque, pour nous, c'était une découverte. Et du coup de l'avoir expérimenté ensemble et d'en avoir été convaincu, je pense que c'est ça qui après fait aussi toute la différence pour la suite. “
A partir de cette première expérimentation fructueuse, Anaig a ensuite inscrit le collaboratif dans une méthode de pilotage d'entreprise, inspirée des OKR (Objectives and Key Results).
La légitimité de changer la culture de son organisation
Entreprendre un tel chantier, qui va profondément bouleverser la manière dont fonctionne et se pense l’entreprise, demande une bonne dose de légitimité. Sur le papier, cela ne paraît pas forcément en phase avec la situation d’Anaig, qui se lance dans cette transformation alors qu’elle vient à peine d’être nommée DG.
Pourtant, elle ne s’est pas posée cette question de légitimité, que ce soit sur le plan personnel ou contextuel.
Le contexte de crise d’abord, s’il peut compliquer les projets de transformation, a été ici un moteur plus qu’un frein. L’entreprise n’a en effet pas le choix que d’évoluer si elle veut se sortir de la tempête, et surtout en sortir plus forte. Il y a un risque donc, mais il est contrebalancé par l’absence de réelle alternative (“vu le contexte, on ne peut pas faire autrement’)
Sur le plan personnel, Anaig peut aussi compter sur le soutien de son PDG, à l’origine de sa nomination, mais aussi des équipes, qui l’ont tous félicité pour ce nouveau poste. Si elle débarque fraîchement à la direction, elle fait partie de l’entreprise depuis plus de 8 ans, et en connait donc bien les codes. Elle se positionne donc à l’intérieur de la culture qu’elle veut transformer, ce qui est différemment d’une posture de conseil externe.
Mais cette position d’insider est à double tranchant. Car elle incarne aussi cette culture qui doit changer. Anaig doit donc elle aussi changer sa façon de faire et de penser l’entreprise. Pour cela, elle opte pour le mode empirique.
“Je mets un pas devant, je réfléchis, je regarde, je mets un pas sur le côté, je me nourris de mes échanges. Donc en fait tout ça c'était un peu l'excitation et la difficulté de mon poste et de cette mission, c'etait qu'à la fois j'ai des convictions fortes, je suis entourée et accompagnée, je le mets en place, je rencontre des murs, c'est pas facile, c'est dur, et des moments j'avais envie de baisser les bras. Du coup, à ce moment-là, je prends du recul, je comprends les choses qu'on aurait dû faire ou pas faire, ou comment les faire.”
Le pouvoir de l’audace
Une telle démarche de transformation génère forcément des doutes, que l’on se sente légitime à la mener ou non. Pour mener des projets de cette envergure, il faut donc surmonter ces doutes, ce qui demande beaucoup d’audace.
“Je ne l’aurais pas dit de moi il y a trois ans, mais maintenant je peux dire oui, je suis audacieuse. Mais avec tout ce projet-là, oui, il y a beaucoup d'audace, beaucoup d'inconfort et en même temps beaucoup d'excitation. Et comme je suis absolument convaincue que c' est la bonne direction, ben en fait, on y va.”
Cette audace n’est pas seulement individuelle, elle est aussi collective. C’est l’audace de prendre des risques (celui de transformer sa culture interne) là où de grands groupes préfèrent jouer la carte de la sécurité. C’est donc l’audace de se transformer en laboratoire, de donner l’exemple, peu importe la taille ou l’ancienneté de son organisation.
C’est aussi l’audace de tracer une nouvelle voie. Anaig n’a par exemple pas pu se baser sur ses expériences passées ni des modèles de management qu’elle aurait trouvé dans ses précédentes entreprises. Plus globalement, on observe un certain conservatisme en matière de leadership, ce dernier étant majoritairement passé d’autoritaire à protecteur, mais restant encore peu collaboratif.
Pour se donner de la perspective et avancer sereinement, Anaig nous conseille de :
Se trouver un sparring partner avec lequel prendre du recul (si possible dans un domaine très différent du sien et qui n’hésite pas à nous plonger dans l’inconfort). En effet, c’est en se sentant parfois un peu bête que l’on remet en question ses pratiques et que l’on apprend de nouvelles choses. Cette hygiène intellectuelle est aussi un bon moyen de sortir du syndrôme de la bonne élève et de relativiser les erreurs que l’on peut commettre (et qui sont le quotidien des personnes qui occupent des postes à responsabilité) ;
S’appuyer sur un binôme de confiance au sein de son organisation (pour ne pas se sentir seule et avoir quelqu’un en interne avec qui échanger sur ses décisions) ;
Demander du feedback à ses équipes (et insister pour qu’elles nous en donnent). Par exemple, Anaig collecte le NPS de ses collaborateurs tous les mois.
Avoir de l’ambition pour soi
Cette audace, nourrie par une prise de recul qui se joue à la fois sur le plan professionnel et personnel, c’est aussi un moteur nécessaire pour sortir de sa zone de confort. Une philosophie qu’incarne bien Anaig qui n’a pas hésité à passer d’un secteur à l’autre ou même du salariat à l’entreprenariat.
L'audace permet de gérer ces petites zones d’inconfort, cette incertitude quant à la prochaine étape de son parcours professionnel. Mais plus important encore, Anaig a su faire confiance à ses choix de cœur en prenant des décisions audacieuses pour suivre ses passions et restées alignée avec ses valeurs.
Plus que de suivre un plan de carrière, elle a eu de l’ambition pour elle-même. Elle n’a donc pas poursuivi un dream job, mais un besoin de se challenger, de se laisser surprendre, tout en restant connectée à ses envies (rester près du terrain, occuper des postes transversaux, etc.)
“Moi, mon ambition, c'est de me vouloir du bien, de me vouloir de l'épanouissement et après chacun ses zones d'épanouissement et ses outils pour s'épanouir. Moi, le travail a été un outil d'épanouissement et toujours un outil d'épanouissement et d'évolution, même presque de développement personnel, et l'épanouissement d'être heureux et d'aimer ce que je fais et d'être alignée avec ce que je fais”.
Et c’est en suivant ses envies que l’on s’ouvre de nouvelles portes, que l’on se découvre de l’intérêt pour un nouveau métier ou un nouveau secteur, et que l’on prend pleinement en main son propre pouvoir.
L'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin – Anaig Nouvel, DG de Immodvisor – « Plus on a de pouvoir, plus on fait d’erreurs »
Comments