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De la parité à l’égalité : les leviers pour créer des comités réellement mixtes

Pour clôturer notre cycle de table ronde, nous nous sommes réunies avec le réseau Comète dans le coworking Morning pour discuter de la façon dont la mixité change les codes du leadership et transforme les cultures organisationnelles des entreprises. 


Avec la loi Rixain et surtout la loi Copé-Zimmerman, nous commençons à avoir un peu de recul sur la présence de femmes dans les instances de décision. Malgré tout, au sein des comités de direction que j’anime avec Egalead, et même lorsque ces derniers sont paritaires, on continue d'observer les mêmes biais de genre que dans un comité à majorité masculine. Le temps de parole reste largement monopolisé par les hommes, qui défendent leurs idées entre eux. La preuve que la parité ne se traduit pas toujours par plus d’égalité. 


Pour dévoiler les leviers concrets qui nous permettront d’atteindre des organisations plus égalitaires, j’ai eu la chance d’échanger avec des invités qui ont participé à faire bouger les lignes au sein de leurs entreprises. Nous avions autour de la table Aude Du Colombier, cofondatrice de Tediber et administratrice indépendante, Sébastien Garcin, président de YZR et cofondateur du collectif Men at Work ainsi que Joachim Beauvillain, directeur du pôle Talents chez EDF. Ensemble, nous avons questionné les réelles évolutions du pouvoir et les moyens efficaces pour lui faire abandonner ses codes virilistes. 


Comité de direction à parité

Parité ne veut pas toujours égalité


Au-delà de ne pas être une fin en soi (mais un moyen de faire changer les choses), le pouvoir n’est pas non plus un exercice solitaire. Au contraire, il se partage et implique donc d’apprendre à déléguer, si l’on veut avancer. C'est aussi un levier qui doit avoir conscience de ses propres biais (souvent machistes) s’il veut évoluer et s’adapter à une nouvelle réalité du monde de l’entreprise : l’arrivée d’un plus grand nombre de femmes aux comités de direction, et plus globalement dans les instances dirigeantes. 


Mais cette évolution se traduit-elle par une véritable transformation des organisations ? Loin de là. Certes, les boards plus féminins (comme a pu en faire l’expérience Aude) adoptent un fonctionnement plus collégial, avec une prise de décision rapide car délestée de la charge de l'égo. Mais pour arriver à un changement de culture, il faut plus qu’un changement d’effectif : un réel changement de paradigme. 


Chez YZR, Sébastien a par exemple décidé de mettre l’égalité au cœur des valeurs de l’entreprise. Pour lui, le maintien du boy’s club (en particulier dans le monde des startups) n’est pas forcément un projet politique mais la conséquence d’un système. Pour en sortir, il faut donc se fixer un cap égalitaire et renouveler, dans chacune de ses décisions stratégiques, l’ambition d’une organisation plus juste. 

“On voulait prouver que c'était possible de faire une start-up de tech à égalité. Donc on à essayé plein de trucs pour y arriver et on a pu démontrer que quand on veut recruter une femme sur un poste, il suffit de le décider. Quand on veut l'égalité des salaires, il suffit d'y réfléchir puis de le décider.”


Se fixer des objectifs d’égalité concrets et réalistes 


Pour avancer concrètement vers plus d’égalité, il faut aussi se fixer des objectifs concrets, corrélés à la réalité de l’entreprise et de son secteur d’activité. Ces objectifs, pour être réalistes, doivent aussi être détachés des enjeux de performances, une entreprise plus égalitaire n’étant pas pour mes invités nécessairement synonyme d’une plus grande performance. 


Au-delà des résultats chiffrés, c’est surtout la résilience de l’organisation qui s’en trouve améliorée, sa capacité à s’ouvrir à de nouvelles idées et donc à mieux innover. Le premier recrutement d‘une femmes chez YZR a aussi permis à la startup d’augmenter son quotient émotionnel. Cette dernière a en effet su se montrer plus vulnérable, admettant vouloir quitter l’entreprise en raison d’un management toxique là où ses collègues masculins avaient plutôt tendance à le subir. 


Chez EDF, la question des objectifs est centrale pour faire évoluer un paquebot historique vers plus d’égalité. 

“Le premier frein finalement qu'on a en général à lever autour de ça, c'était l'objectivation. C'est l'objectif. Atteindre un objectif, chez nous, c'est un challenge énorme, parce qu'atteindre 40% de dirigeantes, quand au départ, on a peu de femmes dans les effectifs, c’est un challenge. Et puis sans objectif, on a pas de performance”. 

Pour atteindre les objectifs qu'elle s’est fixés, l'organisation tient donc des freins qu’elle peut rencontrer, aussi bien endogènes qu'exogènes. Un pragmatisme qui lui a permis d’identifier les biais du système éducatif quant à l’arrivée des femmes dans les métiers techniques pour aller chercher ses nouvelles recrues directement là où elles se trouvaient (soit en dehors de l’organisation). 



Lutter contre la gender fatigue


L’éducation reste l’un des moteurs de transformation des entreprises les plus efficaces. C’est bien pour cette raison que l’on voit de plus en plus d’organisations proposer des coachings à ses collaboratrices afin qu’elles se sentent, notamment, plus légitimes à des postes de direction. Le hic c’est que l’on retombe dans un biais genré qui fait peser majoritairement sur les épaules des femmes la charge mentale liée à l’égalité au travail. 


D’où un phénomène que l’on observe de plus en plus dans les entreprises, celui de la gender fatigue. Une fatigue qui touche d’une autre manière les hommes puisque selon le dernier rapport de l’AFMD, un homme sur 4 se sentirait discriminé au travail. Pour renverser la balance, aussi bien chez les collaboratrices que les collaborateurs, Men at Work a décidé non pas de coacher les premières, mais les seconds. Leur objectif : former des alliés pour éviter de laisser toute la place aux masculinistes (qui font généralement plus de fruits) et rééquilibrer le discours ambiant autour de l’égalité entre hommes et femmes. 


Pour Joachim, l’enjeu est aussi, lorsque l’on s’empare d’un tel sujet avec ses équipes, de ne pas monter les hommes contre les femmes.

“Je ne dirais pas qu'on a trouvé une solution miracle, mais ce qu' on essaie de faire déjà, c'est raisonner à la base sur les compétences. Donc, on n'a pas à raisonner avec un système de discrimination positive. Ok, il y a des objectifs, on ne les voit pas comme des quotas. On se dit, c'est des objectifs, il faut qu'on fasse le maximum pour les atteindre. Mais on nommera pas une femme parce que c'est une femme. Bien sûr, on va exiger d'avoir des femmes sur l'étape de succession. On va exiger d'avoir du choix, de la mixité de choix. “

Le changement ne se fera donc qu’en embarquant les hommes dans la cause, en leur donnant les outils pour favoriser leur prise de parole (sans couvrir la voix des femmes). Pour Aude, les entreprises doivent également accepter qu’après tant d’années de patriarcat (qui fait encore aujourd’hui de la résistance), il est normal que le changement culturel secoue un peu. Des secousses qui ne doivent pas faire peur au point de nous renvoyer en arrière, mais qu’il faut aussi anticiper pour mieux mitiger. 



Comment opérer le changement vers un leadership plus égalitaire ?


Pour changer les organisations, il faut changer la manière dont elles opèrent, les valeurs qui sont au cœur de leur leadership. Chez YZR, un sondage sur le sujet de l’égalité a permis de révéler que malgré des effectifs paritaires, le temps de parole était encore largement monopolisé par les hommes (en plus d’écart en fonction des origines et de la tranche d’âge). Se concentrer sur une meilleure répartition de la parole a permis d’améliorer ce facteur, mais aussi la culture de l'entreprise dans sa globalité en travaillant sur la capacité d’écoute des hommes. 


L’entreprise a également supprimé le rituel hyper toxique de la demande d’augmentation, en en laissant l’initiative exclusivement à l’entreprise elle-même. Un changement concret qui permet d’éviter les écarts d’évolution des rémunérations entre les hommes et les femmes (qui demandent beaucoup moins à être augmentées). 


Chez EDF, le changement s’est opéré en dégenrant le référentiel de leadership commun de l’entreprise. Ce document, qui définit concrètement ce que l'entreprise attend de ses dirigeants et managers, se concentre désormais sur de nouvelles soft skills qui laissent plus de place aux codes de pouvoir perçus comme “féminins” comme l’ouverture, l'authenticité et l’humilité. 


Pour Aude, cette notion d’écoute et d’humilité est le nerf de la guerre des transformations organisationnelles égalitaires. Elle permet d’avoir des dirigeants plus aptes à entendre les suggestions de leurs équipes et qui ne réfléchissent plus uniquement en termes de pouvoir descendant. C’est également ainsi que l’on permettra aux femmes de s’imposer dans les instances dirigeantes sans les forcer à adopter des codes virilistes ainsi que de faire émerger des rôles modèles plus désirables et inspirants pour les nouvelles générations de femmes. 



L'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin – Table ronde | Au cœur des instances dirigeantes : comment la mixité bouscule les normes ?


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