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DRH, les femmes de l’ombre

Centrales dans les organisations, les fonctions de ressources humaines sont pourtant souvent reléguées dans l’ombre. Peut-être parce qu’elles sont principalement occupées par des femmes. Pour questionner cette ambivalence et replacer les RH dans une dimension à la fois plus technique et stratégique, j’ai eu la chance d'échanger avec Emeline Bourgoin


Emeline évolue en RH depuis 2003, dans divers secteurs (média, start-up, service ou encore banque et assurance) avant d'entrer au COMEX comme DRH, chez Dailymotion en 2011, puis AXA et enfin ING. Aujourd’hui, elle est DRH chez Skeepers, société spécialisée dans le marketing digital. 


A travers son parcours, nous réfléchissons aux différentes facettes du pouvoir en entreprises : oser, influencer et inspirer. Nous questionnons aussi le rôle des DRH dans la transformation des organisations et l’évolution de leur culture vers plus de parité


RH, femme de l'ombre

Le pouvoir d’oser 


Après plus de 20 années d’expérience, Emeline considère que le pouvoir en entreprise est avant tout la capacité d’oser. Avoir sa voix dans les comités de direction et faire entendre son avis, dans des domaines qui peuvent être différents de son périmètre d’action. Cette capacité de s’exprimer est non seulement un bon moyen de faire porter sa voix (et de trouver sa place dans un Comex en tant que femme), mais aussi de challenger les pratiques de l’organisation pour qu’elle évolue dans la bonne direction. 

“Ca a commencé par une CEO femme qui m'a dit, écoute, moi ce qui m importe, c'est que tu ais une vision business. Donc c' est bien de donner ton avis sur la partie people, mais maintenant je sais que tu as des choses à dire qui sont importantes pour nous, qui vont nous apporter un regard peut être un peu de biais sur des choses opérationnelles, sur notre stratégie en général et donc je veux que tu t'exprimes là-dessus, car pour l'instant tu es trop timide”. 

Ce changement de posture peut en effet être complexe, d’autant plus pour une femme. Il demande de se sentir légitime à exprimer son avis et de dépasser les blocages qu’on peut avoir naturellement. Pour se lâcher plus facilement, Emeline nous conseille de : 


  • Ne pas prendre les choses personnellement. Si un feedback ne donne pas automatiquement lieu à un ajustement, ce n’est pas forcément parce que c’est une mauvaise idée mais que le timing n’est pas le bon. 

  • Se forcer : les retours reçus de nos équipes (d’autant plus s’ils sont positifs et bienveillants), nous aideront ensuite à continuer dans cette voie ;

  • Adopter un positionnement plus agnostique (en s’intéressant aux problématiques plus globales de l’entreprise, dans son cas, autres que les sujets liés à l’humain). Cette polyvalence permet de se positionner comme un membre pleinement actif des instances directrices et de faire que sa voix porte. 



La capacité d’inspirer


La deuxième facette du pouvoir pour Emeline est la capacité à inspirer, à donner une vision qui va porter, mobiliser le maximum de personnes. C’est une compétence particulièrement importante non seulement pour entraîner le collectif (les équipes) comme l’individu (le collaborateur), qui sent alors qu’il s’inscrit dans une vision alignée avec ses propres valeurs. 


Mais l’inspiration ne vient pas seulement de l’intérieur. Elle peut aussi s’enrichir de l’extérieur, à condition de s’ouvrir à d’autres perspectives et à aller voir ce qui se fait chez ses concurrents ou sur des marchés différents. 

“Il faut pouvoir se challenger pour vivre moins enfermé dans ses propres croyances mais aller écouter des réussites à travers des témoignages ou des podcasts etc. Parce que je trouve vraiment que la nourriture extérieure enrichit énormément et inspire justement les gens en général et moi particulièrement”. 

Tout l’enjeu est ensuite de transférer cette inspiration en interne afin qu’elle puisse mobiliser les équipes et déboucher sur des transformations positives pour l’organisation. Cela passe par une bonne communication et en tenant compte des frictions que peuvent rencontrer les collaborateurs. Répondre à leurs besoins est encore le meilleur moyen de les encourager à ouvrir leur chakras. 



La faculté d’influencer 


Pour finir, l’influence est la capacité d’embarquer les équipes. Une faculté d’autant plus importante dans un contexte où les transformations sont plus nombreuses, rapprochées et intenses. Pour Emeline, la transparence est absolument nécessaire à tout pouvoir d’influence. Il faut pouvoir expliquer le sens des changements à venir afin que leur nécessité soit mieux comprise et que leur mise en place soit collective. 


Emeline a par exemple mobilisé ses collaborateurs à adopter une posture nouvelle, et au début un peu inconfortable : celle de faire un travail pédagogique sur leur métier auprès des jeunes en école. L’objectif : leur rendre la banque plus attractives, faire naître de nouvelles vocations et s’assurer que le secteur devienne plus inclusif. 

“C'est ça aussi pour moi l'influence. C'est d'être capable, à travers des petits pas, d'ouvrir, et l'interne et l'externe, sur des choses que les gens n'auront pas forcément l'occasion de connaître autrement”. 

Cette capacité d'influencer demande aussi, lorsque l’on est DRH, de trouver le bon équilibre entre prendre sa place (celle d’impulser le changement), mais aussi la laisser (en laissant le reste des équipes s’approprier ce dernier). C’est d’autant plus vrai pour les ressources humaines qui peuvent souvent avoir l’impression que tout repose sur elles (et qui portent beaucoup la responsabilité des erreurs, mais plus rarement les lauriers de la réussite). 


La clé pour Emeline est de créer une culture partagée et d’embarquer non seulement ses équipes, mais aussi les décisionnaires. Là encore, le pouvoir d’influer se révèle déterminant, puisqu’il permet de montrer l’importance de ces changements, et donc de s’assurer qu’ils soient appliqués de manière collaborative. 



Porter la voie de la parité


En tant que DRH, Emeline a également été amenée à accompagner la parité, en particulier dans les sphères décisionnaires où tout se joue. Là encore, elle s’est appuyée sur la connaissance, insistant sur les chiffres qui permettent de prouver que des équipes plus mixtes se traduisent par de meilleures performances pour l’entreprise. 


Les données chiffrées, notamment celles obtenues via un arbre de l’égalité, permettent aussi d’identifier les niveaux sur lesquels l’organisation doit se concentrer. Il s’agit bien souvent du middle management, qui est le principal point de décrochage de la parité en entreprise. 

“Donc on va chercher plus profondément dans les organigrammes pour être sûr que les femmes, au même titre que les hommes, peuvent être promues managers le plus rapidement possible. Et puis après, on peut mettre en place des programmes de mentoring, de leadership au féminin et parfois aussi prendre en interne une femme qui ne coche pas toutes les cases, qui n'est pas le mouton à six pattes, mais qui connaît bien l'entreprise, qui a des bonnes capacités de développement avec un potentiel établi, etc.”. 

Malgré la preuve indiscutable des chiffres, promouvoir une femme qui n’a pas toutes les compétences reste un combat difficile à mener, même dans les entreprises les plus progressites. C’est souvent beaucoup de temps, de travail de persuasion (auprès des niveaux décisionnaires les plus importants), de sueurs et de clash pour convaincre de la validité d’une telle décision. 



Ne pas tomber dans le cliché féminin de la RH


Avec Emeline, nous avons aussi évoqué le rôle féminin de la DRH, dont les compétences sont souvent associées aux qualités considérées comme féminines, comme le care, la bienveillance, le soin apporté aux autres, le contrôle et la gestion des émotions, etc. Comme dans la sphère privée, les femmes en entreprise, encore plus lorsqu’elles occupent des places de DRH, sont amenées à prendre sur elles toute la charge émotionnelle de la gestion des équipes. 


La difficulté tient alors au fait de ne pas tomber dans les stéréotypes que l’on peut associer au féminin pour maintenir sa position d’influence dans l’entreprise. 

“Ce que j'ai développé, c'est d'être capable de remettre les choses au bon endroit. Ne surtout pas me mettre dans cette posture, parce que ça peut être aussi une facilité. Sauf que ma place, c'est pas celle-là en fait, et moi j'aie pas envie d'être la maman ou la confidente. Chacun sa place, chacun sa fonction, mais en l'occurrence, on a tous les mêmes responsabilités sur le management et la capacité à faire vivre une équipe.  Il faut vraiment être vigilant tout le temps. De ne pas tomber dans ce positionnement-là pour continuer à avoir une place au niveau stratégique et pas se faire embarquer sur des sujets qui ont plus attrait finalement à du courage”. 

Cette vigilance permet aussi de casser le plafond de verre dont souffrent beaucoup de femmes dans ce métier. Car si on retrouve une grande majorité de femmes dans les RH, elles restent encore minoritaires aux postes de DRH. C’est en gardant un positionnement plus équilibré, qui n’est pas seulement dans l’aspect humain mais aussi la stratégie et le business, que les femmes RH pourront progresser. Elles doivent apprendre et réussir à imposer leur posture de business partner, faire porter leur voix et prendre conscience qu'elles peuvent avoir un réel impact sur l’entreprise. 


Cette perspective permet aussi de remettre en lumière la technicité de ces métiers. On a souvent tendance à considérer les métiers majoritairement occupés par des femmes comme plus faciles à occuper. Mais on ne s’improvise pas DRH et au-delà d’une posture, c’est un métier qui nécessite des compétences clés. 


Pour lui redonner la juste place qu'elle doit avoir en entreprise, Emeline nous invite à suivre l’adage selon lequel “Il n'y a que les bébés qui pleurent, qui tètent ».  Traduction : il n’y a qu’en la portant le plus fort et le plus loin possible que nous arriverons à nous faire entendre !



L'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin – Émeline Bourgoin, DRH de Skeepers - "Quand tu ne sais pas, tu ne peux pas agir"


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