La Révolution et le Code civil : les racines d’une exception masculiniste à la française
- nellyjimenez33
- 1 avr.
- 6 min de lecture
Après deux premiers épisodes aux côtés d’Eliane Viennot, dédiés respectivement à la loi salique et aux théories de différenciation des genres du siècle des Lumières, nous arrivons maintenant à l'époque de la Révolution et du Code civil (mais aussi de tout ce qui va s'ensuivre).
Dans cette dernière partie de notre trilogie, on décrypte comment les femmes ont lutté pour obtenir l’égalité et la propagande qui s’est intensifiée en réponse à ces luttes au cours du 19e siècle. Ces affrontements, idéologiques, mais aussi en armes, nous permettent de mieux comprendre là où nous en sommes aujourd’hui et “l’exception masculiniste française”.

La Révolution française ou les lettrés contre le peuple
Aux prémisses de la Révolution française, les femmes ont déjà largement disparu des instances de pouvoir. Elles sont évincées des universités, chassées des salons et les hommes féministes parlent de moins en moins pour prendre leur défense.
La clergie, qui est en partie derrière cet effacement, va asseoir sa domination à cette période. Les lettrés forment en effet la grande majorité du contingent des Etats Généraux, durant lesquels la bourgeoisie réussit enfin à faire voter des impôts en sa faveur et à décrocher l’égalité… mais celle des garçons (et notamment des plus jeunes de la fratrie face à un aîné jusque-là tout puissant).
L’heure est à l’égalité et à la liberté (il faudra attendre encore un peu pour la fraternité) et tout le monde croit aux promesses tenues par les révolutionnaires… Y compris les femmes qui participent à la lutte collective, débattent lors d’assemblées populaires ou font imprimer des plaquettes militantes. Mais le peuple réalise rapidement que l’égalité promise est toute relative et que les lois passées ne sont pas du tout en leur faveur.
“La révolution avait bien commencé, mais ça c'est extrêmement mal terminé. Mais en tout cas, on a compris au moment de la révolution qu'il y avait un possible. Jusque là, les nobles pensaient liberté, égalité pour eux, pour les gens de leur caste, pour les familles, des gens qui ont du bien. Mais ils n'avaient jamais imaginé que ça pourrait aller jusqu'à comprendre l'ensemble de la nation. Et là, ils ont compris qu'il y avait des gens qui prenaient ça au sérieux, qui étaient capables de prendre les armes pour défendre ces idées”.
De 1989 à 1992, on va donc de désillusion en désillusion. On part de l’idée que nous sommes tous égaux, avant que les femmes ne soient clairement évincées de la vie politique. Mais avec la nouvelle constitution, le peuple pauvre, qui ne possède donc pas de biens, se voit lui aussi confisqué le droit de vote.
Effacer les femmes de la Révolution : une exception parisienne
L’éviction des femmes de cette nouvelle république égalitaire va également creuser le fossé entre Paris et la Province. Pendant la terreur, on leur ferme les portes des clubs et on supprime les groupes féminins. En réponse, le reste de la France accepte de les accueillir et on voit même se former, alors que le pays entre en guerre contre ses voisins, des groupes de formation militaire pour que les femmes participent à la défense nationale.
“Il y a évidemment d'autres critères qui sont à prendre en compte dans les désaccords entre les assemblées parisiennes et le reste de la nation. Mais la participation des femmes est au cœur de la division. Evidemment, c'est facile de se mettre d'accord sur le dos des femmes qui vont pliées, pliées là dessus. Mais ce n'était pas du tout parti comme ça. La révolution, c'était vraiment parti avec l'idée de Baron. On va changer tout et on va faire l'égalité de tout le monde”.
Une perte graduelle du pouvoir jusqu’au Code Civil
C’est donc la Terreur et la guerre civile qu’elle déclenche qui va entériner la silenciation des femmes. Les révoltes populaires, auxquelles elles participent, sont châtiées de manière sauvage. Mais la loi martiale va cibler spécifiquement les femmes en leur interdisant de se réunir en public à plus de cinq, ce qui illustre bien leur implication dans les mouvements de contestation.
Il devient aussi de plus en plus difficile pour elles de faire front collectif tant elles ont été divisées et donc affaiblies lors des siècles précédents. Les femmes n’ont désormais plus de leaders avec l’éviction des reines (à quelques exceptions près comme Olympe de Gouges, qui restent très isolées). Mais elles font aussi face à des dissensions entre elles, certaines ayant adhéré à la théorie de différenciation des genres.
“On voit bien qu'elles se sont mobilisées et que l'évolution par la violence de ce mouvement a fait que sans doute les femmes les plus de la bourgeoisie ou de la petite noblesse rentraient dans l'ordre. Les autres entrent en lutte parce que le peuple rentre en lutte”.
Les femmes perdent graduellement du pouvoir : elles ne sont plus éduquées à l’occuper et perdent avec en assurance et en ambition. Dans les écrits, on voit de nombreuses femmes féministes revoir leurs espérances à la baisse, souhaitant être reconnues, mais au même titre que leur mari.
Le masculinisme : une exception à la française
En parallèle, on observe une hausse des écrits masculinistes, qui élèvent la France au-dessus de ses voisins précisément parce que c’est un pays d’Hommes. C’est après la Révolution que sont fondées les premières écoles historiques, qui retournent aux Saliens et cherchent à comprendre comment le pays en est arrivé à la Révolution. Après les premières républiques, le pays opte pour l’empire et finit même par restaurer la Monarchie (mais cette fois-ci sans aucune trace de ses reines ou régentes).
Néanmoins, l’arrivée au pouvoir de Louis Philippe, qui n’a aucune légitimité, au sens salien, de monter sur le trône, enterre en quelques années seulement la loi salique. La parole des vrais savants et historiens se libère en même temps que les idéologues redoublent d’effort pour instaurer une nouvelle mythologie. Lorsque les femmes commencent à pouvoir entrer à l’école, elles y apprennent donc que la France n’a jamais connu de luttes féministes et que les deux sexes ont toujours été différents, complémentaires.
Le 19e siècle est donc traversé par différents stratagèmes pour faire disparaître les femmes et réduire au maximum leur pouvoir. On les supprime de l'histoire de la Révolution française, on efface les femmes de lettres et en 1830, ces messieurs Larousse et Bescherelles suppriment définitivement les noms féminisés et entérinent la règle du “masculin l’emporte sur le féminin”.. C’est aussi à cette période que l’on interdit le mentorat entre femmes et les salons féminins.
En parallèle, le 19e siècle nous réserve aussi de belles pirouettes. La République est une femme et son symbole est Mariane, une chimère d’une incroyable ingénuorisité car elle permet de masquer le discours masculiniste ambiant. On voit aussi fleurir des textes autour de ce que l’on appelle la querelle des femmes, soit une gigantesque logorrhée pour expliquer ce qu’elles ne peuvent ou ne doivent pas faire. Ce contingent de lettrés masculinistes se diffuse d’ailleurs partout en Europe, à la faveur des guerres menées par Napoléon.
“Donc oui, on est des leaders du masculinisme et c'est pour ça, je pense, qu'on n'a pas encore eu de présidente de femme présidente parce qu'on continue à avoir une classe politique qui était nourrie à cette idée de la supériorité française qui a chantée pendant des siècles qu’il y a un danger dans la gynécocratie”.
Comment sortir de cet héritage historique ?
Cet héritage s’observe toujours aujourd’hui dans le difficile chemin vers la parité en politique et dans les conseils d'administration, mais aussi dans l’égalité des salaires. La différenciation des genres, notamment dans les métiers, rend en effet impossible une homogénéité des conditions de travail, et donc une lutte organisée pour des salaires égaux entre hommes et femmes.
De la même manière, et même si nous sommes aujourd’hui égaux en droit et que les femmes excellent dans les études, les hommes restent majoritairement à la tête de l’Etat et des organisations. La preuve que ça ne se joue pas là, mais dans la captation masculine des espaces qui sont valorisés.
“Vous avez par exemple les activités qui étaient considérées comme sans intérêt, donc laissées aux femmes comme l'informatique. Au début de l'histoire de l'informatique, c'est essentiellement des femmes qui en font parce qu'il faut faire des calculs. Voilà, c'est tout ce qu'il y a à faire. Il n'y a pas grand chose à en sortir du point de vue de la prestance. Mais à partir du moment où ça devient plus important, où on fait en sorte que les garçons y aillent et les filles s’en détournent parce que ce n'est pas fait pour elles”
Cet héritage historique, et les conséquences qu’il continue d’avoir sur l’égalité des genres, doit nous inciter à analyser toutes ces dynamiques de près, à observer où se rejoue la domination masculine, qui se reconfigure en permanence. Seule une vue d’ensemble, sur les domaines qui s’ouvrent aux femmes et ceux qui leurs referment symboliquement leurs portes, permettra d’aller vers une vraie égalité. Une bonne vue d’ensemble et des lois pour fixer cette égalité, afin que les femmes n'aient plus besoin de sortir dans la rue tous les 4 matins pour la défendre.
L'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin HS | La France, les femmes, et le pouvoir avec Eliane Viennot – La révolution, au masculin
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